Envie de prendre le large.

Il faisait bon se promener sur le port, ce matin là, et Patrick aurait tout donné pour pouvoir y aller le plus souvent possible. Ce matin là encore, il avait réussi à se soustraire à ses devoirs royaux pour aller faire une petite balade sur les quais, ayant subitement envie de prendre le large pour quelques heures, et ne se sentir plus attaché à quoique ce soit.

Il savait pertinemment que Francine lui en voudrait : après tout, cela faisait quelque fois qu'elle était obligée de présider seule les audiences royales, mais il savait qu'elle était quelqu'un de forte, et avec de l'autorité : il ne craignait pas un seul instant qu'elle ne soit pas à la hauteur de ses fonctions. Après tout, il n'avait pas épousé une cruche ou une imbécile, et Francine était loin d'être la plus demeurée des jeunes filles qu'il avait eu l'occasion, ou plutôt la malchance, de rencontrer.

Sorti presque incognito, habillé comme le commun afin de ne pas se faire repérer, Patrick espérait en secret qu'il pourrait, sans devoir user de son autorité royale, convaincre quelque marchand de monter à bord de leur navire afin de faire une petite balade.

Alors qu'il flânait sur les quais, regardant avec admiration et envie les bâtiments à quai, quelqu'un l'interpella. Il se retourna pour voir qui donc s'intéressait subitement à lui.

Charles était de bonne humeur aujourd'hui. La cargaison qu'il avait commandé venait d'être déchargée, cargaison dont il était certain de vendre à bon prix et surtout, on venait juste de lui envoyer une dépêche fortement intéressante : il y a avait quelques lots de laine à récupérer à Bas-Tyra et, flairant l'affaire, il avait décidé d'appareiller avec la marée, c'est à dire dans une heure.

Alors qu'il finissait de donner ses instructions à son intendant, sur les quais, pour la journée que durerait son absence, il crût reconnaître l'un des hommes qui flânait sur le port. L'interpellant, il fut à demi surpris de le voir se retourner, et le chercher du regard... Ce regard... Charles l'aurait reconnu entre mille.

Désireux de préserver l'anonymat de son suzerain, Charles planta son intendant et se porta à la rencontre de Patrick. D'une nature bavarde, Charles l'aborda et... commença à déballer :
"Sire, souffla-t-il, quelle joie de vous voir ici. Je n'ai pas pu m'empêcher de vous voir admirer avec envie les navires à quais, et je vous comprends parfaitement : quelle liberté, quelle aventure est-ce là ! Veuillez me pardonner si je vous froisse mais... cela vous tenterait-il un aller retour rapide, en une journée? Je dois justement appareiller dans une heure, pour Bas-Tyra, et je compte rentrer avec la marée du soir. Cela est amplement faisable, je l'ai déjà fait ! Alors, votre Altesse, êtes-vous intéressé?" conclut-il, en souriant de toutes ses dents.

Patrick fut des plus surpris d'être abordé par un marchand et, le fut encore plus lorsque l'homme le reconnût si facilement. Ainsi, sa couverture n'était peut-être pas excellente et d'autres personnes avaient pu le reconnaître... Pestant intérieurement, il se concentra sur ce que disait l'homme. Après tout, le mal était fait. Mais il ne pouvait s'empêcher, néanmoins, de louer la discrétion de l'homme.

Ayant écouté attentivement ce que le marchand lui proposait, Patrick pensa tout d'abord à un piège. Mais l'offre le tentait tellement ! Il savait pertinemment qu'il devait avoir l'air d'un gamin à qui l'on offre l'objet de ses rêves et qui n'ose l'accepter de peur de se rendre compte que ce n'était, justement, qu'un rêve.

Mais, alors que le marchand le regardait avec sérénité et attendait patiemment la réponse de son souverain, Patrick se dit qu'après tout, une absence de deux heures ou d'une journée, cela ne faisait pas grande différence.

"Mon bon monsieur, c'est avec joie que j'accepte votre proposition. Elle me tente au plus haut point et, pour tout vous dire, j'espérais secrètement pouvoir m'enfuir quelques heures. Il fait tellement beau aujourd'hui, qu'il serait dommage de devoir passer la journée enfermé entre quatre murs.

Néanmoins, j'aimerais que cet homme m'accompagne..." ajouta-t-il en désigant l'un des hommes l'accompagnant, un gaillard costaud, laissant planer sa menace.

Détournant son regard du marchand, attendant sa réponse qu'il savait d'avance favorable, il posa sles yeux sur son navire.
*Quel merveille... Comme j'aimerais en posséder un moi aussi. Mais il est vrai que je pourrais pas le manier, je n'ai rien d'un marin !* pensa-t-il, avec envie.

Charles sourit de toutes ses dents, en comprenant le message que lui faisait passer son Roi. Charles n'était pas stupide, ça non, mais plus encore, ce n'était pas un fou. Il savait qu'il retirerait beaucoup plus d'honneur en embarquant son souverain sur son navire, pour une petite balade, qu'en l'assassinant froidement.

Et puis... que gagnerait-il à le tuer? Ses affaires marchaient impeccablement bien, il allait bientôt épouser la jeune fille qu'il courtisait depuis quelques mois... non vraiment, jamais la possibilité de pouvoir tuer son roi ne l'avait effleuré un seul instant.

"Il en sera fait selon la volonté de son Altesse, murmura-t-il, en courbant légèrement la tête. Si jamais vous voulez que toute votre suite vous accompagne, Sir, elle est bien évidemment la bienvenue à mon bord."

Il espérait que le message que Patrick comprendrait son message on ne peut plus clair :
Que tu sois seul ou accompagné d'une armée, je ne toucherais jamais à un seul de tes cheveux. Tu es mon roi.

Se tournant vers son navire, il lui fit signe de le suivre.

"La marée est pour bientôt, je ne voudrais pas la rater" dit-il, en guise d'excuse.

Faisant signe à Patrick de passer le premier sur la petite passerelle qui reliait le quai au bateau, il s'engagea à sa suite et, dès qu'ils furent sur le pont, demanda qu'on la relève.

Le voyage allait commencer.