En route pour Bas-Tyra à bord de l'Aigle des Mers

Patrick était aussi heureux qu'un gamin à qui l'on offre enfin le cadeau tant désiré, tant attendu.

Cela faisait maintenant deux heures qu'ils naviguaient sur la Mer du Royaume, mais Patrick avait l'impression que cela faisait à peine quelques secondes. Il s'émerveillait de tout, voulait apprendre, comprendre, même si cela devait gêner le travail des matelots et mettre à rude épreuve la patience du capitaine. Mais après tout, il était le roi, et personne ne s'offusquer ouvertement des soucis qu'il pouvait engendré.

Le temps était au beau fixe, la brise légère mais régulière. Le navire avançait à une bonne allure et Charles ne cachait pas qu'il n'aurait aucun problème à être de retour en fin d'après-midi. Normalement, le chargement ne prendrait pas longtemps et ils pourraient repartir très vite. Cela ne rassurait qu'à moitié le roi qui avait peur de ne pas être rentré à temps pour essayer de ne pas s'attirer les foudres de son épouse. Mais après tout, lorsqu'il lui aurait raconté ce qu'il avait vécu, elle ne pourrait qu'être heureuse pour lui, et lui pardonnerait son absence.

En vérité, sa petite escapade mettait bien plus le roi mal à l'aise qu'il n'osait se l'avouer, mais il voulait profiter au maximum de cette aventure, et essayait d'y penser le moins possible.
*Pour me faire pardonner, je dormirais aux côtés de mon épouse ce soir... Elle doit se sentir bien seule, les soirs et les nuits, sans moi à ses côtés... Mais j'espère qu'elle comprend que je ne peux encore... non, pas encore, je ne veux rien gâcher.*

Car cela aussi l'effrayait au plus haut point : il n'était vraiment pas prêt à devenir père. Il arrivait à peine à être roi ! Et si Francine se mettait à pouponner, il aurait beaucoup moins l'occasion de lui demander son avis ou de la faire venir aux conseils qu'il tenait régulièrement... Non, vraiment, engendré une descendance n'était pas du tout dans ses priorités.


Deux trois heures plus tard, Charles vint le trouver et lui annoncer qu'il allait arriver en vue de Bas-Tyra. En effet, Patrick pouvait apercevoir au loin les contours de la terre. Le marchand lui conseilla de rester cacher : si le roi arrivant sans prévenir, sans escorte, cela pouvait être mal perçu et Charles, autant que Patrick, n'avait pas envie que les commérages se répandent à la vitesse du vent.

En essayant de montrer le moins possible sa contrariété, Patrick alla se cacher dans la cabine du marchand.

Le chargement dura plus longtemps que prévu... Fort heureusement, la traversée avait été rapide, et ce contretemps pallierait l'incapacité des hommes à terre.

*Ne pas savoir charger un navire dans les temps... Mais qui sont ses empotés?*

Pendant que Charles négociait avec le marchand, c'était son capitaine et l'homme amené par le roi qui surveillait le chargement... et son contenu.
Pas question de faire monter à bord un assassin, un espion ou, pire, des marchandises défectueuses ! Charles n'était pas venu récupérer des ballots de tissus invendables !

Pendant ce temps là, il savait son souverain caché dans sa cabine, en train de fulminer certainement, de rester tant d'heure à attendre que l'on reprenne la mer. Certes, on pourrait repartir avec la prochaine marée, mais cela nécessitait quand même d'attendre que le chargement soit terminé.

Finalement, après pas loin de trois heures de négociation, Charles put acheté les ballots, déjà chargé, à un bon prix, moins bon néanmoins qu'il l'avait espéré. Mais il n'avait pas le temps de discuter plus : son souverain avait été clair, ils devaient être de retour le plus tôt possible, il se devait d'être présent pour le dîner, en compagnie de sa femme.

*Ne te moque donc pas de lui, pauvre idiot. Bientôt, ce sera toi qui pleurnichera pour rentrer de bonne heure, afin de retrouver les bras tendres de ta tendre épouse.*

Remerciant le marchand d'un signe de tête, mettant fin à la transaction - *Dans combien de temps va-t-il s'apercevoir que je l'ai arnaqué? J'espère que nous serons loin à ce moment...* - Charles se dirigea vers une auberge en bords de quai et alla commander deux repas... repas qu'il exigeait monter à son bord.
Finalement, après quelques pièces en plus, il put repartir avec les mets et la boisson.

Se dirigeant tout droit vers sa cabine, donnant quelques instructions à son capitaine pour le retour (ils n'allaient pas tarder à repartir), il posa les plats devant un Patrick affamé.

"Je sais qu'il n'est pas midi, Sir, mais rien ne vaut un bon repas, surtout lorsque c'est moi qui vous l'offre. Mangez sans crainte !"

Aussitôt dit, aussitôt fait : l'attente avait du creuser l'appétit du roi car il se jeta sur la nourriture sans plus attendre, et lui fit honneur.

Après avoir mangé de bon appétit et avoir pu enfin remettre les pieds dehors, lorsque le bateau avait quitté le port, l'enthousiasme enfantin du roi au début s'était progressivement changé en une attitude maussade, désintéressée et surtout... totalement dépressive.

Assis dans un coin, sur un tas de cordes, il passait son temps à s'en vouloir, à trouver des excuses à son comportement, à essayer d'oublier qu'il avait abandonné sa femme... qu'il l'abandonnait beaucoup trop depuis quelques temps.

Réfléchissant à la situation, il ne vit pas le temps passé et fut reconnaissant au marchand de ne pas venir l'importuner tout le temps.
*De toute façon, il doit avoir autre chose à faire que de venir s'enquérir de l'humeur de son roi, surtout si celui-ci est plus que désagréable. Il aura le droit à quelque récompense sonnante et trébuchante, et nous n'en parlerons plus.*

Alors que le soleil commençait à décliner doucement sur l'horizon, Charles vient le voir et lui annonça que Rillanon était en vue et que l'on accosterait dans quelques minutes.

Cela remonta le moral du roi : il était enfin de retour chez lui et allait enfin pouvoir s'expliquer avec sa femme.

Lorsque le bateau accosta, il abrégea les formations plus que de raison.

"Messire Charles, je vous remercie infiniment de m'avoir permis de naviguer à bord de votre magnifique navire. Pour vous remercier, et vous dédommager de ma mauvais humeur, voici quelques pièces qui, j'espère, vous seront utiles dans le développement de votre commerce."

Il fit signe à l'homme qui l'avait accompagné. Celui-ci s'approcha et sortit d'une sacoche une bourse remplie de pièce. Il devait en avoir pas loin de deux cents, vu sa taille.

Une fois la bourse remise en mains propres, et les remerciements terminés, le prince se dirigea vers la petite escorte qui l'avait attendu toute la journée, monta sur son cheval et partit au galop jusqu'au palais.
La récréation était terminée, il était temps à présent de remettre les choses en ordre !