Arrivée dans un "café" de Durbin:

La matinée traînait en longueur, et Neel commençait à sentir la fatigue poindre aux creux de ses yeux. Cachant derrière sa main un bâillement peut élégant, il alla servir l'un des clients accoudé au bar. Il avait veillé tard la nuit dernière, occupé à quelques passe-temps de son âge, et avait finit la soirée dans les bras d'une femme à la vertu négociable. Il avait été pas très facile de se lever à l'aurore pour venir travailler, mais son oncle avait trimé dur pour lui trouver un emploi afin qu'il paye ses dettes de jeu : il n'allait pas le décevoir en arrivant à la taverne en retard pour sa deuxième semaine de travail.

Ramassant les piécettes laissées sur le comptoir en guise de payement, Neel alla ranger l'argent dans la caisse, et en profita pour prendre un pourboire au passage. Le patron de l'établissement n'en saurait rien et puis, de toute façon, il avait vite compris que ce genre d'actes était toléré tant qu'il n'y avait aucun abus. Après tout, le patron de l'endroit les payer une misère, et même avec ces petits "emprunts" par-ci par-là, cela n'allait pas ruiner la taverne. Tout le monde y trouvait donc son compte.

Un des clients, qu'il ne reconnut pas, lui fit signe de s'approcher et, avec une démarche lourd et traînant des pieds, Neel s'approcha de l'homme. Une fois la question posée, sans dire un mot, Neel tendit une main vers l'homme, paume ouverte vers le plafond. Ici, à Durbin, toutes les informations se monnayaient. L'homme devait bien le savoir : la réponse qu'il obtiendrait dépendrait de sa générosité. Après quelques secondes de flottement, Neel finit par poser son regard sur le menton de l'homme, son regard vert le mettant mal à l'aise. Mais malgré cela, sa main était toujours posée sur la table, et aucun tremblement n'était visible.

D'ici une minute, si l'homme n'avait pas réagit, il s'en irait. Neel commença à compter silencieusement : 1... 2... 3...

20...
Neel regarda avidement l'homme poser sa main sur la bourse à sa ceinture. Se pouvait-il que cela soit si facile en fin de compte?

28...
L'homme en sortit quelques piécettes, et Neel les trouva absolument magnifiques. Elles allaient être pour lui? Oui, il le fallait.

34...
Avec un sourire un peu niais, Neel regarda les pièces dans sa main. Trop rapidement, comme s'il avait peur que l'homme ne décide de les reprendre, le garçon ferma sa main et déplaça celle-ci près de la poche de ses pantalons, où il fit tomber les pièces dans sa poche.

Un peu nerveux, Neel fit un signe de tête affirmatif à l'homme et quitta la table. La démarche raide, comme s'il n'arrivait pas vraiment à réaliser ce qu'il venait de faire, il s'approcha du comptoir, se servit une bière et signala à son patron qu'il prenait une pause.

Puis, toujours aussi hésitant, il revient s'asseoir à la table de l'homme.
"Si tu veux voir des marchands, des vrais, il faut attendre le début de l'après-midi : c'est souvent à ce moment là qu'ils viennent prendre un verre, afin d'oublier pour quelques temps la fournaise de dehors. Maintenant, il y a bien un ou deux marchands ici, reprit-il, en jetant un rapide coup d'oeil à deux hommes un peu plus loin et qui leur tournaient le dos, mais le genre de marchandise qu'ils vendent ne sont pas très... comment dire... légales."

Après un clin d'oeil qu'il voulait amical, Neel avala une gorgée de bière amère et continua à parler, l'alcool dans son estomac vide lui déliant un peu plus facilement la langue.
"Qu'est-ce que tu veux savoir sur moi sinon? Y'a pas grand-chose à dire tu sais. Alors vas-y, pose tes questions, et j'f'rais de mon mieux pour y répondre."

Neel était très étonné que cet homme veuille en savoir plus sur lui. Après tout, il n'était personne, comme le répétait assez souvent son père lorsqu'il était plus petit. Néanmoins, cela lui fit étrangement plaisir que l'homme s'intéresse à lui : peut-être, après tout, une nouvelle vie s'ouvrait devant lui. Feignant une attitude indifférente, afin de ne pas trahir sa trop grande excitation, il répondit, essayant d'être le plus franc possible :
"Comme vous l'avez certainement remarqué à ma stature, j'ai beaucoup de force. Mais je n'aime pas trop l'utiliser : je trouve que c'est une attitude de faible que d'utiliser sa force sur des personnes plus fragile que soit. Ainsi, quand il faut que je me sorte d'une situation... délicate... je préfère utiliser ma tête que mes muscles. Mais c'est vrai que parfois, je n'ai pas trop le choix." Il ponctua cette dernière phrase d'un petit rire. Il ne se mettait pas souvent dans des situations périlleuses, ce n'était pas vraiment son genre de chercher des ennuis. Mais c'est vrai qu'il avait du se servir une ou deux fois de ses poings et... le résultat n'avait pas été joli à voir.

"Contrairement à ce qu'on pourrait croire, je suis quelqu'un qui ne cherche pas les ennuis. Je suis aussi quelqu'un de loyal, qui respecte les efforts que l'on a pu faire pour lui. Vous voyez, ce boulot, c'est mon oncle qui me l'a trouvé pour que je puisse payer mes dettes de jeu. Plus d'une fois, j'aurais pu me faire la malle pour aller chercher un boulot mieux payé ailleurs, mais plus dangereux et pas franchement honnête. Mais je suis encore là, et je suis fier de travailler ici !"
Neel arrête son monologue et en profita pour prendre une gorgée de sa bière, qui se réchauffait trop rapidement. Le goût n'était encore pas désagréable, mais il allait devoir se dépêcher de la terminer, avant qu'elle ne devienne infecte.

"Sinon, mes défauts, j'en ai quelques'uns, comme tous les hommes. Comme je vous ai dit, j'ai des dettes de jeu : j'aime beaucoup jouer et, même si ces derniers temps, je joue moins, je ne résiste jamais à une partie de dé ! Sinon, même si je ne suis pas quelqu'un de très malin, je ne suis pas non plus un imbécile : j'ai mes propres valeurs, et je n'irais jamais faire du mal à quiconque juste pour de l'argent. Je sais que ce genre d'attitude embête certaines personnes. Voilà, je ne sais pas trop quoi vous dire d'autres sur moi, je ne suis pas quelqu'un de vraiment intéressant."
D'un trait, il finit sa bière et s'essuya la bouche sur sa manche.

Se calant dans le fond de son siège il reprit, la voix plus basse, sur le ton de la confidence.
"Disons, pour ces marchands que, lorsqu'un vaisseau est pillé, il faut bien que certains se mouillent pour revendre le butin des pirates. Ces marchands, c'est le genre de gars qui se mouillent pour quelques extras en fin de mois. Ils égorgeraient leur propre mère pour un écu d'argent."
Tout dans son ton indiquait que ce n'était pas le genre de personne qu'il appréciait.

Neel fut un peu gêné des paroles amicales de l'inconnu. Oh, bien sûr, des compliments lui faisaient toujours plaisir, surtout lorsqu'ils paraissaient sincères comme ceux-là mais cela n'empêchait pas de le mettre quelque peu mal à l'aise. Commençant à s'agiter nerveusement sur sa chaise, il se força à retrouver son calme. Après tout, pourquoi était-il si embarrassé? La conversation n'avait pris aucune tournure louche, et son interlocuteur lui paraissait honnête et dénué de mauvaises intentions. De plus, et cela le frappa, à force de discuter avec lui, il commençait à se rendre compte qu'il avait déjà peut-être vu cet homme.

Néanmoins, Neel n'eut pas le temps d'approfondir plus sur la question, car l'homme venait de lui faire une proposition pour le moins... déroutante. Payer ses dettes? Se mettre à son service? Voilà une proposition comme l'on en rencontrait rarement ! Neel, bien que pas naïf pour deux sous - grandir à Durbin vous chassait vite ce trait de caractère encombrant et, si ce n'était pas le cas, vous ne faisiez pas long feu dans la ville - commença un peu à se méfier de l'homme. C'était un peu trop... facile. Comme si tout avait été arrangé à l'avance.

Se maudissant d'éprouver de telles craintes infondées, il ébaucha un petit sourire et, toujours nerveux, demanda d'une voix qu'il ne voulait pas trop inquisitrice :
"Votre proposition me tente beaucoup, et votre générosité me touche. Néanmoins, avant d'accepter, j'aimerais bien savoir le nom de mon éventuel futur employeur... Ainsi que quelques détails sur ce qui me sera demander de faire. Vous comprenez, je ne veux pas tremper dans des affaires louches !"
D'un geste de la main, il fit signe à l'une des serveuses en service de venir leur servir une autre tournée de bière. Il en avait bien besoin, même s'il savait qu'être sous l'emprise de l'alcool pourrait bien lui faire dire des choses regrettables...

Marcus Dogbare...

Marcus Dogbare !
Mais bien évidemment !
Comment Neel avait pu oublier ce marchand emblématique, connu depuis quelques années pour ses affaires très prospères? Bien évidemment qu'il l'avait vu plusieurs fois auparavant, passant de nombreuses fois devant sa maison impressionnante. Il ne comprenait vraiment pas comment il avait pu oublié un tel homme. C'était un vrai mystère... Mais il ne s'en inquiéta pas trop longtemps.

Travailler pour Marcus Dogbare? Jamais il n'aurait pu imaginé pareille situation ! Tout excité, et se sentant vraiment en veine, il écouta à moitié ce que le marchand lui disait, lui expliquant quel genre de travail il serait amener à faire. Travailler pour Marcus Dogbare? Mais la réponse était oui, sans hésiter !

Lorsqu'il fut certain que le marchand n'avait plus rien à dire, un sourire épanoui sur le visage, il répondit, sans aucune hésitation :
"Mais j'en pense que je suis d'accord. Totalement d'accord. Cela sera un vrai honneur que de travailler pour vous. J'espère être à la hauteur de ce boulot !"

Toujours aussi souriant et débordant de bonheur, Neel se leva et alla chercher deux verres et une bouteille contenant un liquide foncé. Revenant vers la table, il remplit les deux petits verres et en présenta un à Marcus :
"Tenez, c'est une liqueur du coin, assez forte, mais vous devez avoir l'habitude de tels alcools. D'habitude, on la sort que pour de grandes occasions. Je pense que celle-ci en est une alors... Je vous offre ce verre de bon coeur !"
Et, d'un geste rapide du poignet, il avala le contenu de son verre d'un grand trait. Sa gorge le brula pendant un instant, et une douce sensation de chaleur commença à se diffuser à partir de son estomac. La tête lui tourna une seconde, puis tout redevint parfaitement nette.

Oui, cette journée qui avait commencé de la manière la plus banale qui soit se révélait être la meilleure de sa vie ! Il remercia secrètement son oncle de lui avoir appris la ponctualité et le respect de ses engagements. Sans lui, sans nul doute qu'il serait passé à côté d'une occasion unique ce matin en refusant de se lever pour aller travailler.

Neel écarquilla les yeux. Lui? Second? Second de Marcus? Le Marcus Dogbare, expert en affaire? C'était trop beau pour être vrai. C'était beaucoup trop pour lui qui, quelques minutes encore auparavant, n'était qu'un simple serveur dans une taverne, travaillant pour payer ses dettes de jeu.

Sous l'effet de la surprise, et de l'alcool, Neel vacilla et se réceptionna tant bien que mal sur la chaise à côté de lui. Essayant de reprendre son souffle, la vue légèrement brouillée, il n'avait plus vraiment conscience de ce qui se passait autour de lui. Les paroles du marchand lui parvenaient, mais étouffées, comme si elles devaient traverser un épais brouillard avant de lui parvenir aux oreilles.

Finalement, au bout de quelques secondes, cette étrange sensation disparut. Retrouvant ses esprits, sa vue s'éclaircit, et il put de nouveau poser ses yeux sur Marcus. Second ! C'était un rêve qui devenait réalité. Non, même pas, car jamais il n'avait rêvé d'une telle chose, mais au plus profond de la plus noire des nuits. C'était tout simplement... un miracle.

Oui, après toute ces années, après une enfance malheureuse et une adolescence hasardeuse, voilà que la vie lui souriait enfin. Et il osait à peine y croire, de peur que son bonheur s'évanouisse aussi vite qu'il était apparut.

"Merci beaucoup, Messire Marcus. Si vous voulez bien me suivre, je vais vous conduire à la plus grande table que nous avons."
Se levant lentement, afin d'éviter à sa tête de tourner un peu plus, Neel fit signe à Marcus de le suivre. Il l'amena vers la plus grande table de l'établissement, qui pouvait accueillir jusqu'à 12 convives.

"Voilà, vous pouvez vous installer ici, en attendant que les marchands viennent se désaltérer ici."
Il allait retourner vers le comptoir lorsqu'il se rendit compte qu'il n'avait pas donné de réponse à la proposition de Marcus concernant son logement. Se mordant la lèvre inférieure, et fronçant les sourcils pour mieux réfléchir, Neel répondit finalement, un peu gêné :
"Et bien Messire Marcus, j'avoue que vivre chez vous... Non, c'est beaucoup trop d'honneur que vous me faîtes, je ne voudrais pas m'imposer dans votre vie ainsi."
C'était la stricte vérité : cela le mettait mal à l'aise rien qu'à l'idée de s'imposer ainsi dans la vie de cet homme. Il avait beau venir de rentrer à son service, cela ne voulait pas dire pour autant qu'il était prêt à partager le quotidien du marchand. Pour le coup, cela faisait vraiment trop pour une seule journée.

Assis à côté de Marcus, les mains se tordant nerveusement, Neel observait les rares allées et venues, sursautant à chaque fois que la porte s'ouvrait, prêt à réagir au quart de tour si l'un des marchands qui avait l'habitude de venir ici montrait le bout de son nez. Néanmoins, c'était beaucoup trop tôt, ce qui n'empêchait pas le jeune garçon d'être sur le qui-vive.

Tout en surveillant la porte, comme si sa vie en dépendait, Neel repensait à l'incroyable concours de circonstance qui l'avait amené là où il était à présent. Qui sait si depuis sa naissance toute sa vie n'avait pas été une suite d'événements sans queue ni tête l'amenant péniblement jusqu'à ce jour miraculeux. D'habitude, Neel n'était pas quelqu'un que l'on pourrait qualifier de superstitieux : la vie avait été bien trop cruelle avec lui pour qu'il croit à de telles choses. La réalité était trop bien ancrée dans son esprit. Néanmoins, cette possibilité d'avoir enfin un métier honnête et reconnu lui faisait perdre un peu de sa rationalité. Tout, absolument tout était bon à prendre pour expliquer cette chance soudaine.

Neel était tellement perdu dans ses pensées que, lorsque les trois hommes entrèrent dans la taverne, il ne faillit pas les reconnaître. Avec un léger temps de retard, il souffla à Marcus :
"Messire, ces trois hommes là : je parierais ma paye que c'est le type de gars que vous r'cherchez."
Indécis, ne sachant pas s'il devait ou non se porter à leur rencontre pour les inviter à la table du marchand, Neel commença à s'agiter nerveusement sur sa chaise, attendant un ordre de Marcus.
*Parfois* ne put-il s'empêcher de penser avec amusement *j'ai vraiment l'impression d'avoir encore 10 ans.*

Un peu trop rapidement à son goût, Neel bondit de sa chaise dès que Marcus lui en avait donné l'ordre et alla à la rencontre des trois marchands. Un peu gauchement il les aborda mais il fit apparemment bonne impression car, au bout de quelques de discussion polie, les trois hommes acceptèrent visiblement son invitation vu qu'ils revinrent tous quatre à la table de Marcus.

Avec une mine théâtrale, Neel présenta les trois hommes :
"Voici Ilgar, commença-t-il en désignant le plus petit des trois hommes, un brun à la peau extrêmement foncé et à la pilosité, étrangement et mise à part les cheveux,, quasiment inexistante. Padril, continua-t-il en désignant un grand barbu aux cheveux noirs striés de fil d'argent et à l'habit très coloré. Et enfin, Roland", termina-t-il en désignant le dernier des trois, un homme blond aux yeux bleus, et à la peau très pâle, chose plutôt curieuse dans ce coin-ci de Midkemia. Sans nul doute, et avec le nom qu'il portait, que l'homme était originaire du Royaume des Isles : cela se voyait sur ses traits et dans son maintient.

Se rendant compte un peu trop tard de sa bourde, il bégaya rapidement, en arrivant de justesse à rester compréhensible :
"Messires, voici Marcus Dogbare, mon employeur et l'homme qui, ayant entendu tout le bien que l'on dit sur vous, a décidé de vous rencontrer enfin."
Sur ce, il invita les trois nouveaux venus à s'installer, et fit signe à la jeune serveuse de servir ces trois monsieur. Une fois tout le monde assis devant son verre, Neel vint reprendre sa place près de Marcus et lui laissa l'initiative. Les mains moites, le front en sueur, il se laissa aller à un peu plus de calme.

Marcus observa les marchands, chacun, un à un, il les regarda avec un regard à la fois calculateur et polie. Il était heureux d'enfin commencer cette conversation, mais il savait qu'il ne fallait surtout pas faire d'erreurs. Il dit enfin:

Messieurs je suis heureux de vous rencontrer, comme je l'ai déjà dit à mon employé Neel ici présent, il désigna l'homme qui pas plus tard qu'il y a quelques heures était encore serveur dans cette même auberge, les hommes honnêtes sont rares et précieux et surtout dans cette ville...

Il fit une pose avant de reprendre:

Je vous en prie, laissez-moi vous offrir ce repas, en échange je ne vous demande que de me consacrer un peu de temps...

Il avait terminé sa "première partie", une sorte d'introduction aux dialogues qui allaient suivre.

Tandis que Neel observait la salle de la taverne avec un détachement feint, prêtant une attention toute entière à la conversation qui se déroulait entre son nouveau patron et ses potentiels clients, ces derniers prirent place autour de la table avec une méfiance perceptible. Les fréquents coups d'œil qu'ils échangeaient et leurs mains nouées nerveusement l'attestaient sans ambiguïté. Néanmoins, tous répondirent poliment à l'offre de Marcus, inclinant la tête à son invitation.

Ce fut Roland, l'Islien, qui prit la parole le premier, utilisant la langue du Royaume et non le Keshian, ce qui ne sembla nullement gêner les deux autres :
"Messir Marcus, comme vous devez le savoir, nous sommes des hommes occupés. Alors, si vous le voulez, parlons peu, mais parlons bien. Que désirez-vous?"

Neel fut étonné par tant de franchise. L'homme ne semblait nullement gêné de s'adresser si directement à Marcus, et le jeune homme s'en sentait que plus blessé. Etait-ce ainsi que se déroulait les affaires? Lui qui avait cru que les marchands s'exprimaient dans un langage sibyllin, fait de sous-entendu et de demi-vérité, le voilà vite désenchanté.

Néanmoins, sa sachant novice en la matière, il feint le plus parfait désintéressement et, sans cesser de regarder les allées et venues dans la taverne, écouta attentivement la réponse de Marcus, certain d'apprendre quelque chose de fondamental.

Si la première affirmation de Marcus laissa Neel se marbre et ne capta que très peu son intérêt, ce qu'il laissa entendre par la suite lui glaça les sangs. Se maîtrisant à grand peine pour rester impassible et ne pas laisser éclater son incompréhension, Neel fixa son attention sur une aspérité de la table, soudain très intéressante. Les pirates ! Il n'éprouvait, sinon de la haine, une indifférence à leur propos mais son oncle faisait parti de la piraterie et savoir que son employeur voulait s'en "débarrasser", cela le rendait perplexe et indécis? Comment réagir?

Néanmoins, l'heure n'était pas aux interrogations personnelles, ni même à la demande d'explications détaillées. Il était là, pour écouter, et non pas pour parler. Rongeant son frein, et essayant de rester le plus neutre possible, Neel étudia la réaction des trois marchands.

Eux-aussi faisaient un effort visible pour se contenir. Apparemment, l'annonce de Marcus avait fait son petit effet, en bien ou en mal, Neel le pouvait l'affirmer, mais il voyait très clairement que cela avait secoué les trois compères. Après un échange à voix basse auquel il ne comprit pas le moindre mot, ce fut Roland qui, une fois de plus, prit la parole.
"Se débarrasser des pirates, voilà une belle affaire, mais comment comptez-vous vous y prendre? Certainement pas à coup de belles paroles et de jolies sommes. Contrairement à la majorité d'entre nous, les pirates savent manier un sabre, et n'hésite pas à l'utiliser. Si c'est pour finir les tripes à l'air, la gorge tranchée ou servant de nourriture aux poissons au fond de l'océan, très peu pour nous. Après tout, quelles seraient nos garanties qu'une telle folie fonctionne?"
Les yeux de l'homme semblaient osciller entre colère et amusement, et son demi-sourire tendait à prouver que tout cela l'amusait réellement.

La fureur et l'incompréhension de Neel étaient peu à peu retombées, et il avait pu suivre la conversation sans trop s'inquiéter de ses propres états d'âme. Il venait d'apprendre là une leçon qu'il n'était pas prêt d'oublier : ne jamais laisser ses états d'âmes personnels interagir avec les affaires du travail. Chaque chose devait rester à sa place et, au boulot, on s'occupait du boulot, rien d'autre. Oubliant pour un temps que son oncle faisait parti plus ou moins de la piraterie, et risquait d'être concerné par cette gigantesque chasse, il se concentra un peu plus sur la réponse des marchands, qui n'allaient pas tarder à arriver.

Après, une fois encore, une petite concertation en privée venant des trois compères, ce fut Padril, le plus âgé des trois, qui prit la parole, s'exprimant cette fois en keshian.
*Dans quelle langue va donc parler le troisième?* se demanda avec amusement Neel.
"Je ne sais pas où vous avez grandi, Messire Marcus, mais en tant que natif de Durbin, je peux vous assurer que la plupart des gens qui habitent ici et qui ne trempent pas dans les affaires des pirates sont dûment contrôlés par eux. Vous ne devez pas ignorer, si vous faîtes affaire ici, que les pirates contrôlent quasiment toute l'économie de la ville, que ce soit plus ou moins ouvertement. Ainsi, je ne vois guère qui pourrait se révolter contre eux même si, je vous l'accorde, bon nombreux de ces pauvres gens auraient toutes les raisons du monde de le faire. La peur de ces êtres sera bien plus fort que n'importe quel sentiment de justice ou de "bien agir.""
Avec un haussement d'épaule, il invita Roland à reprendre la parole.

"Encore une fois, Messire Marcus, je vous demande : quels seront nos avantages à nous engager dans une si folle aventure? Je suis bien conscient qu'une économie libérée du joug pirate ne pourra qu'être profitable, encore faut-il qu'il reste quelques âmes à Durbin pour la faire tourner ! Que gagnerons-nous à vous rejoindre? Et que se passera-t-il si jamais vous échouez? Aurons néanmoins une chance de plaider l'innocence et de nous en tirer ou devrons nous payer le prix fort à vos côtés? Vous comprenez que nous ne pouvons pas nous engager dans une affaire si délicate sans aucune garantie, ou sans quelques précisions sur la manière dont vous comptez agir !"

Le retour à la langue des Isles avait quelque peu laissé Neel sur la touche, qui manqua le début du discours de Roland. Néanmoins l'Islien, malgré l'incertitude que laissait transparaître son monologue, semblait très confiance, peut-être même un peu trop.

Marcus avait écouté Padril et se dit que ce n'était pas pour rien que ce marchand était si renommé pour ses qualitées oratoires... Il commença à parler avec le même air joyeux que précédemment:

Messire Padril! Ce ne sera pas pour "bien agir" ou pour faire la justice que le peuple de Durbin agira, c'est pour son propre bien, son propre enrichissement, de plus, nous pourrons toujours acheter la loyautée de mercenaires tout en équipant les habitants de la ville. Enfin, les habitants agiont lorsqu'ils verront que certains, comme nous, ont la volontée de se battre, et surtout lorsqu'ils verront que les pirates eux-mêmes ne sont pas tous des crapules!

Il fit une pause pour reprendre son souffle et pour encore une fois, que son auditoire s'imprègne bien de ses paroles. Il reprit toujours plus malicieux:

Non seulement nous serons liberés du joug pirate, mais en plus, cette ville s'enrichira ensuite facilement grâce à sa position avantageuse par rapport à la Triste Mer, peut-être même que, si nous restons suffisamment unis, nous pourrons fonder un deuxième royaume de la Triste Mer... De plus vous m'avez l'air bien pessimiste, mon cher Roland, certes, il y aura des morts, mais, ils ne seront pas si nombreux que vous le dîtes, après nos forutnes réunies serviront à la reconsrtuction de la ville, son renforcement, etc...

Il reprit sa respiration avant d'achever:

Si cette entreprise doit mal se terminer, alors chacun de vous trois ou de vos familles héritera de l'une de mes échoppes situées en Midkémia...

Neel était de plus en plus étonné par la perspicacité de Marcus : il semblait avoir réponse à tout, et rebondissait chaque fois avec brio sur les points fragiles que soulevaient les trois marchands. Il s'en tirait avec une grande habilité, sans dévoiler grand chose de son jeu. Neel était bluffé, et n'essayait même plus de fixer son attention ailleurs, juste pour le sport : il buvait les paroles de Marcus et suivant cette joute verbale avec délice. Ces hommes étaient coriaces, et ne lâcheraient pas l'affaire facilement. Le jeune homme avait hâte de voir comment tout cela allait se terminer...

Quand aux marchands, l'on voyait qu'ils commençaient à s'agiter, les avis divergeant certainement. Roland, comme à son habitude, ouvrir la bouche pour parler, mais Padril le coupa de vitesse. Avec un sourire désarmant, il répondit à Marcus, ponctuant son discours de quelques petits gestes vifs et précis de la main :
"Mon bon Marcus... Si vous me permettez d'user d'une telle familiarité avec vous bien évidemment... Mon bon Marcus, reprit-il alors, je comprends parfaitement vos motivations, que je trouve justes et bien fondées. Là n'est pas le problème, si problème il y a. En effet, confortablement assis autour de cette table, savourant des alcools fort appréciables, nous pouvons débattre à loisir de la condition du peuple et extrapoler sur ses réactions. Nous avons bon reconnaître tous que la vie sans ces pirates sera bien meilleure, pensez-vous que la majorité du peuple le pense également? Certes, une partie partage peut-être votre opinion, et j'espère que cette partie dépasse la majorité. Néanmoins, entre penser qu'une vie sans les pirates serait meilleure et œuvrer pour que cela se réalise, il y a un gouffre énorme que certains n'oseront jamais franchir, pour leurs propres raisons, valables à nos yeux, ou non."
Apparemment satisfait de son petit discours, Padril se cala bien confortablement dans son siège, et sirota le breuvage qui se trouvait dans son verre. Sans cesser de fixer Marcus du regard, il attendit que l'un de ses collègues prenne la parole.

Finalement, après un long silence, Roland relança le débat, timidement, comme s'il n'était pas certain que reprendre la parole était la meilleure chose à faire.
"Hériter de vos échoppes, aussi florissant que soit votre commerce, ne nous sera pas d'une grande utilité si nous nous trouvons six pieds sous terre. Néanmoins, cette offre a le mérite de nous montrer que vous êtes prêt à tout pour que cette entreprise réussisse. Très bien, vous avez capté tous notre attention. Quelle sera votre première action? Et comment procéderez-vous à long terme? Avez-vous déjà un plan de défini ou préférez-vous attendre de voir comment se passe les choses?"